
Ce matin, je me réveille en me sentant nouvelle. Je me lève et songe à ce que j’ai à faire. Je crois que j’ai de l’administratif à terminer. Je passe par la cuisine mais je n’ai pas spécialement faim. J’avale un thé en observant la météo et pense à l’énergie que j’ai récupéré dans la nuit. Mes pensées vont dans tous les sens. Il fait gris et ça semble mouillé au dehors. Le thé est délicieux. Je suis fière de mon corps et me sens bien. Soudainement, une idée coupe mes tergiversations. Il y a deux ou trois nuits précédentes, je m’étais endormie en rêvant à aller patiner. Ce soir-là, je m’étais assurée que je tenterais l’aventure lorsque j’en aurais l’occasion. Je crois que c’est aujourd’hui, l’opportunité idéale. C’est maintenant ou jamais.
Motivée par ce désir, je file m’habiller et me retrouve très vite à mon bureau. Le plus important en premier puis l’amusement! Je suis plus efficace que jamais. Dans la demi-heure, c’est plié.
Je suis complètement excitée. Je prépare mes affaires et me voilà dehors, en direction du métro. Dans ma tête, il y a tellement de pensées. Enfant, j’attendais chaque année avec impatience que la patinoire ouvre. Et depuis deux ans, j’avais enterré cette idée farfelue. Présentement, je ne dirais pas que je suis en meilleure forme physique, cependant, quelque chose a bel et bien changé. C’est mon état d’esprit qui a évolué. Je ne veux plus être cloisonnée dans ce que je peux et ne peux plus faire. Je souhaite que tout reste possible, à différents moments et moyennant parfois, des aménagements. Je vais sortir une à une, toutes ces choses que j’ai rangé au placard. Sur le chemin, des interrogations m’envahissent. Est-ce que je sais encore patiner? Est-ce que mes muscles vont me tenir correctement? Vais-je tomber? J’arrête l’enchaînement en mettant de la musique dans mes écouteurs. Je dois faire confiance et faire l’expérience avant de juger. Ce serait dommage d’arriver avec des aprioris handicapants. J’avance courageusement.
J’arrive devant l’établissement. Pendant que mon coeur palpite, je paie mon billet et prends mes patins. Je marche dans ce lieu que je connais par coeur. Ça me fait plaisir de te revoir. Je m’installe dans le vestiaire et enfile les patins. J’ai du mal à serrer les lacets mais ce n’est pas ça qui va m’arrêter. Je donne toutes mes forces et je suis plutôt fière d’avoir passé cette étape. La tension monte d’un cran. Je me lève et je dois gérer cette nouvelle hauteur et le déséquilibre qu’elle crée.
Je monte les marches, et j’aperçois la glace. Les gens se déplace avec fluidité. En allant en direction de la porte, j’ai une seconde d’hésitation. Et si je tombais? Et si je me ridiculisais? Et si je la bouclais avec mes pensées à la con? Je passe le portique et je suis sur la glace. Je glisse lentement. Je cherche mon point d’équilibre en fléchissant légèrement les genoux. Les premiers tours de patinoire sont ni encourageants ni démotivants. Mon équilibre est précaire et je ne suis plus certaine de savoir les mouvements justes. Pourtant, je ressens l’air qui caresse mon visage et la sensation de glisse sous mes pieds. Je suis époustouflée par l’apport de sensations incroyables que je reçois. Et pendant que j’observe toutes ces stimulations, je prends délicatement mes marques. Je n’ai donc pas oublié. J’éprouve tellement d’émotions positives que la liste est longue. Je me surprends même à aller de plus en plus vite. Je souris. Je n’ai plus aucune crainte. Mon souffle s’intensifie tellement j’enchaîne les tours sans m’arrêter. J’ai chaud mais ça n’a pas d’importance. Je me sens si libre sur la glace. Je savoure ce temps suspendu. Grâce à ces lames métalliques, je vole.
Insidieusement, les limites reviennent. Je commence à fatiguer. Je le ressens dans mes jambes. Je ne les plie plus suffisamment et je perds en stabilité. En arrivant dans le virage, je peine à l’effectuer. Ayant perdu conscience du temps, je regarde l’horloge. Quarante-cinq minutes de pur bonheur se sont écoulées. Je négocie intérieurement, telle une enfant, encore quelques tours de glace, s’il te plaît. Je savoure ces derniers instants avant de me diriger vers les vestiaires. Je porte une gratitude incommensurable d’avoir pu passer cette heure sur la glace. Autrefois, ça n’aurait été que trop peu. Aujourd’hui, c’est conséquent. J’ai ressenti les mêmes sensations que lorsque je faisais de la course à pieds. La rapidité, le souffle, la liberté. Une béatitude que je pensais ne plus pouvoir vivre de si tôt.
Le coeur remplit, les jambes ratatinées, le défi c’est de rentrer me reposer. Mon corps m’a porté. C’est à mon tour de le remercier. Il ne cesse de me rappeler l’activité que nous venons de vivre. Mes pas manquent de solidité et mes muscles se crispent toujours un peu plus. Dans la dernière montée, avant mon but final, mes membres inférieurs sont clairement usés. Les tensions me crient d’arrêter de bouger. Je respire et insuffle tout l’amour que j’ai engrangé. Je mets la clé dans la serrure avec soulagement.
J’ai besoin de reprendre des forces et le plus vite possible. Je passe par la cuisine et heureusement, mon frigo regorge de restes. Ça tombe bien, je ne suis pas en état de cuisiner. Je réchauffe le tout et contente mon estomac.
Puis, je dois réunir mes dernières ressources pour me diriger vers la salle de bain. L’eau chaude coulant sur ma peau anesthésie la douleur. Je me dépêche de m’habiller et d’aller me réfugier dans le canapé. Lorsque je me retrouve enfin immobile, je ressens encore les vibrations de la glace contre les lames de mes patins. Dans cette inaction, je continue à avancer vers la plénitude.
Je décide d’écrire afin de ne rien oublier. L’affaiblissement se fait sentir jusque dans mes phalanges. Dans ma tête, les idées se bousculent, ça fuse dans tous les sens. Je ne transpose pas suffisamment vite ce que mon esprit me dicte. J’écris le maximum avant de tout lâcher et partir dans le repos.
Plus tard, je m’endors la tête encore dans les étoiles. Je suis pleine de joie et d’espoirs, à tel point que s’en est magique.
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