Récit de vie – 5. La descente

Avant de lire ce qui suit, je te propose, si tu ne l’as pas déjà lu, d’aller jeter un oeil aux chapitres précédents.

Chapitre 1 – Ma vie d’avant

Chapitre 2 – La première fois

Chapitre 3 – Le déni

Chapitre 4 – Carnet de santé

Bonne lecture!


Photo de Filipe Delgado sur Pexels.com

Septembre. 

J’ai commencé à mener un double jeu. Dangereux, mais ça je ne le savais pas encore. Le matin, je me parais d’un masque. Mon état était en baisse et malgré ça, je gardais un grand sourire durant mes journées. Je ne me plaignais que rarement, à mes proches. Et toujours en restant très positive: «Je suis juste un peu fatiguée, ça va aller». Au final, je ne sais pas qui j’espérais le plus convaincre.

Plus les jours avançaient, plus je devais me battre pour avoir un quotidien normal. Je rentrais de plus en plus souvent en lambeaux. Parfois j’imaginais ne pas réussir à atteindre mon appartement tellement les douleurs étaient fortes. Je tenais tellement à faire comme si de rien était durant la journée, qu’arrivée au moment de rentrer, tout s’écroulait. Soulever une jambe après l’autre était devenu un défi.

Le changement était radical. Je tenais tellement fort à garder la tête haute, à faire comme si de rien était qu’une fois qu’il était l’heure de rentrer, l’enfer prenait place. Comme si durant toute la journée, j’arrivais à me focaliser sur tout le reste et au moment d’être livrée à moi-même, sans plus aucune responsabilité professionnelle, les douleurs devenaient plus insistantes. Ingérables. Insupportable. Infernales.

Je ne vous ai pas encore parlé de ma maladresse caractéristique mais je dois vous dire que cela a empiré. Je manquais de chuter constamment. Mes pieds s’engluait au sol, sans raison. Mon cerveau avait de plus en plus de difficultés à évaluer l’espace autour de moi. Les objets tombaient de mes mains, mon poids tombait de mes jambes. Je saluais les murs à cou de bras, de front. Et le tout, le plus discrètement possible.

Mes souvenirs ne sont pas très clairs. Tout a été, à la fois, si vite et si lentement.

Je partais d’une simple douleur au mollet droite qui finalement se révélait aussi forte qu’un boxeur en plein combat. À cela s’ajoutait doucement d’autres ingrédients. Une fatigue toujours plus pesante s’installait. À peine mon réveil avait-il sonné, après une longue nuit, que je ressentais la même faiblesse que si j’avais participé à un marathon. J’aurais aimé y participer et ressentir ces sensations pour ces raisons-là. 

J’avais l’impression que tout m’échappait, ma force, ma mémoire, ma vue, mes jambes, mon humeur. Ma fourchette a commencé à être trop lourde à amener jusqu’à ma bouche. C’est devenu fatiguant de tenir une conversation. Je m’endormais n’importe où, n’importe quand. Ma vision était troublée en permanence.

Moi qui était si positive, en toutes circonstances, divers sentiments négatifs commençaient à prendre le dessus. Et attention, je ne dis pas que je tombais en dépression. Je n’ai rien contre la dépression, simplement, cela partait du physique.  Certains soirs, je n’en pouvais plus moralement d’avoir mal, la douleur était si forte. Comme si quelqu’un me hurlait dans les oreilles en continu. Comme si une alarme incendie était activée en permanence. Il y a de quoi en perdre son latin. 

Tout un tas de questions me venaient en tête lorsque, le soir, je me retrouvais incapable de cuisiner. Mon estomac me suppliant de le nourrir, ma souffrance hurlante et moi, assise sur le sol de ma cuisine… J’étais frustrée de ne pas être guérie comme convenu. J’étais frustrée de ne pas réussir les choses simples de la vie. Pourquoi n’arrivais-je plus à tenir debout, à couper mes légumes? J’étais usée de jouer un double jeu et d’essayer de faire bonne figure. Je rêvais de pouvoir crier que ça n’allait pas, tout en gardant une peur de ce qu’il m’arrivait. Et si c’était pour toujours ainsi? Dans l’incompréhension de cette situation, j’ai souvent pleuré sur le sol de ma cuisine alors que quelques heures auparavant, je bougeais dans tous les sens et assurais à tous, d’un sourire confiant que j’allais bien.

La douleur s’était installée au fur-et-à-mesure de mes pas. Et vous n’imaginez pas les kilomètres parcourus.

Il fut un jour, je ne saurais pas vraiment vous dire le déclencheur où j’ai simplement trouvé qu’il n’était plus normal de vivre toute cette incompréhensible mascarade. L’avenir était effrayant. J’avais peur de perdre mon emploi. J’avais peur de ne jamais guérir. J’étais en colère que tous mes efforts n’aient pas suffit à mon corps. J’étais en désaccord. Il fallait agir et cesser cette chute sans fin.

J’ai pris rendez-vous chez mon médecin. Une fois. Deux fois. Trois fois. Personne ne savait réellement dire ce qu’il m’arrivait et je me voyais prescrire divers anti-douleurs, sans effets concluants.

A ce moment-là, mon ressenti est de ne pas avoir été prise au sérieux. Je me souviens que le médecin m’a expliqué que cela pouvait être psychosomatique. Vous a-t-on déjà dit ça? Je vous fais un dessin mental. La cause psychosomatique, c’est comme un placard fourre-tout. Quand nous ne savons pas où mettre ce vase hideux que notre mamie nous a offert, nous le mettons dans ce placard. C’est simple, pratique et rapide. Cela ne nécessite pas de devoir remettre en question l’organisation générale de la maison. Merci le placard fourre-tout. 

Certes, le psychosomatique existe. Avant d’avoir ce diagnostique miraculeux, j’avais moi-même songé à cela. J’avais donc fait tout un travail sur ma vie, pour dénicher la petite bête. Le problème est qu’il n’y avait pas de problème, pas de petite bête à accuser. C’est la raison pour laquelle je n’étais vraiment pas convaincue par cette hypothèse. J’avais fait le tour de la question et à moins d’être folle, je n’y comprenais plus rien. Et encore plus inexplicable que cela puisse paraître, j’avais l’intime conviction que quelques chose dans mon corps défaillait. Je ne savais pas expliquer d’où, ni comment mais je sentais que le problème venait de l’intérieur de ma chair. Je ressentais mon corps lutter contre quelque chose de plus fort que lui. Allez dire ça à un médecin avec vos résultats sanguins dans la norme.

D’ailleurs, en y repensant, mon médecin lançait cette hypothèse mais ne proposait aucune solution. J’avais vraiment le sentiment que peut importe ce que je pouvais lui décrire, il ne voyait pas qu’au fond, j’étais en pleine détresse vis-à-vis de ce corps qui me lâchait. Il ne voyait pas l’incendie. Il a attendu que la maison ait brûlé pour faire quelque chose mais ça, nous y reviendront plus tard. Je sais que je dis ça, comme si c’était simple de trouver le bon diagnostic et je suis consciente que malheureusement ce n’est pas le cas. Néanmoins, j’ai réellement eu la sensation d’être au milieu d’une catastrophe naturelle et que malgré mes appels aux secours, je me suis faites emportée par le courant.

Par acquis de conscience, à force d’insister, mon médecin a fait quelques tests médicaux de routine. Et ceux-ci se sont révélés dans la norme, quelques carences par-ci, par-là. Le psychosomatique était sa meilleure piste. Elle n’engageait pas d’investigations plus profonde. 

La chose que je retiens de ces consultations sans résultats est qu’être une jeune adulte face à un médecin, c’est parfois compliqué. Et là aussi, ce n’était que le début.


PS: Je te remercie de me lire et promis, la suite arrive bientôt!

Lili

28 commentaires sur « Récit de vie – 5. La descente »

  1. Quelle lecture angoissante !
    Comment l’incompréhension couplée a la douleur doit-être écrasante. Psychologiquement, je trouve que tu as été forte et courageuse.
    Je me projette dans ton article, moi qui était sportif durant mon enfance et mon adolescence, je sais que j’aurai paniqué à un point incroyable de voir mon corps ne plus m’obéir.
    Et la difficulté d’être jeune, de parler de sa souffrance, et de voir dans le diagnostic du docteur juste un petit bobo car on est jeune donc forcément en bonne santé.
    Superbement bien écrit. On « comprend » à quel point la maladie est sournoise et cruelle.
    J’attends la suite !
    Bien à toi, la bise !

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    1. Merci encore pour ce retour! Tu décris parfaitement tout ce que j’ai ressenti, la panique, l’incompréhension… et les difficultés d’être une jeune femme, donc à priori en pleine forme… Et qui finalement, à réellement besoin d’aide.. D’ailleurs, tu as deviné le prochain chapitre, en quelques sortes.. Affaire à suivre !
      Merci beaucoup encore!
      Des becs 💕

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    1. Merci, c’est vraiment adorable.
      Ce que j’écris dans ce récit s’est déroulé il y a quelques mois, heureusement, je ne suis plus dans cette descente infernale aujourd’hui.
      Prends bien soin de toi !
      Lili

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  2. Ton récit est impressionnant. On imagine pas la douleur mentale qui s ajoute à celle physique, de ne plus comprendre ce qui se passe et d etre comme prisonnier de son propre corps.
    Merci de partager ton expérience.
    Bonne journée
    Bises

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    1. Merci à toi pour ce retour, c’est très encourageant.
      Même pour moi, c’est un sacré travail de compréhension, après coup, de voir par quoi je suis passée…
      Bonne journée à toi aussi !
      Des bisous

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  3. La douleur c’est le pire, ça ne joue pas que sur le corps, ça vient piétiner tout le reste. J’ai l’impression que ta prise en charge médicale relève du parcours du combattant, sans avoir lu la suite.
    L’excuse du psycho-somatique, c’est sur toutes les langues. C’est le plus simple au final, ça évite de chercher plus loin.
    Belle soirée Lily et encore bravo pour tout.

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    1. Tellement d’accord avec toi, la douleur physique est très capricieuse et sait parfaitement comment venir piétiner le moral par moment..
      Mon parcours a été semé d’embûches et encore je peux m’estimer chanceuse car j’ai eu plus ou moins rapidement un diagnostique (une année). Et heureusement au bout d’un moment, le psycho-somatique a été écarté… cette belle excuse!
      Je vais aller continuer le chapitre suivant… !
      à bientôt et encore merci !💕

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  4. Bonjour Lili. Première chose: bravo pour tes récits et courage. Continue à écrire.
    Deuxième chose: sans parler de cause psychosomatique avérée, ne laisse pas de côté le côté psy. Je pense sincèrement que même en bonne santé physique et mentale ça ne fait jamais de mal de faire le point de temps en temps avec un thérapeute sérieux. Je ne suis pas psy moi-même mais je me suis dis en te lissant qu’il y avait des choses qui interpellent. C’est de la psychanalyse à deux balles, je le reconnais et je me trompe assurément. Il y a la mécanique physiologique et souvent comme dans toute mécanique il y a des pannes, des choses qui ne tournent pas rond. A côté de ça il y a des choses vraiment étonnantes que la médecine n’explique pas encore. Connais-tu les livres de Anne Ancelin Schützenberger? C’était quelqu’un de sérieux qui a travaillé dans des hôpitaux et universités réputés. Dans sa très longue carrière elle a vu des milliers de malades et ce qu’elle raconte dans ses livres est vraiment intéressant.
    Cordialement

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    1. Hello ! Merci à toi d’avoir lu et pris le temps de commenter, ça me touche beaucoup!
      Je suis tout à fait ouverte à prendre soin de ma santé mentale et je te remercie de me le suggérer, c’est jamais de trop ! C’est tellement important! Néanmoins, je dois admettre que mon texte prend place dans une période passée où j’étais persuadée que ça venait de quelque chose de dysfonctionnel dans mon corps. Et finalement, c’était le cas!
      Néanmoins, je ne néglige vraiment pas cette hypothèse qui aurait pu être la bonne mais je ne saurais expliquer ce sentiment qui venait de l’intérieur, me poussant à chercher plus loin (et tant mieux)! En tout cas, je suis suivie désormais sur tout les plans !
      Et comme tu le dis bien, la médecine traditionnelle n’explique pas tout. En effet, même avec un diagnostique, il n’est pas possible de comprendre tous les symptômes et je trouve que c’est souvent là qu’interviennent les médecines alternatives! Pour ma part, je m’aventure et tente toutes sortes de choses, tant que je vais mieux!
      Je ne connaissais pas cette autrice, aurais-tu un ouvrage en particulier à mon conseiller ?
      Merci encore et bonne soirée !
      Lili

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      1. Je te recommande « le plaisir de vivre », c’est le premier livre d’elle que j’ai lu. Je le trouve plein d’optimisme malgré les sujets graves qui y sont traités. Elle parle de sa vie, ses expériences, ses deuils personnels et le lien entre inconscient et certaines maladies.
        Bonne soirée à toi
        JD

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