Jour 72 – Hommage

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C’est un jour particulier. Il commence par une grasse matinée, un fait plutôt inhabituel. J’avais sûrement besoin d’un peu plus de sommeil que d’habitude. Puis, je me lève avec l’envie de prendre le temps d’émerger. Je commence par lire les nouvelles, dans le journal. Et c’est à ce moment-là que je ressens un déchirement. J’apprends le décès d’une jeune femme connue, atteinte de deux maladies rares dont une, la même que la mienne. Elle s’appelait Faustine Nogherotto.

Vous vous en êtes aperçu, je parle souvent d’elle, ma colocataire. Elle rythme mon quotidien, malgré moi. Je ne veux pas être réduite à son étiquette, c’est pour ça que j’ai fait le choix, jusqu’ici, de ne pas réellement mentionner son nom. Pourtant, je n’ai aucun mal à parler de celle qui tente de mener ma vie. Et c’est aussi pour cette raison que j’ai débuté ce blog, pour reprendre le dessus. Pour montrer que je peux encore prendre des décisions et des choix pour mener ma barque. Et ce matin, pavé dans la marre. Un ange rejoint le ciel.

Lors de mon diagnostique, j’ai cherché des informations sur internet, pour pouvoir comprendre et appréhender ce qui m’attendait. Ma pathologie touche généralement les personnes autour de la cinquantaine, alors je n’ai pas trouvé de pistes me permettant de m’identifier. J’avais besoin d’un modèle aussi proche en âge de moi, pour savoir comment vivre avec. Je cherchais le mode d’emploi à quelque chose d’inexplicable. Pendant ces recherches, je suis tombée sur cette jeune femme. Je m’étais sentie un peu moins seule. Elle avait à coeur de faire connaître les deux maladies rares dont elle était atteinte afin de faire avancer les recherches inexistantes.

Je ne la connaissais pas personnellement, pourtant, j’ai ressenti du chagrin. Elle a eu recours au suicide assisté, en Belgique. Ce n’est pas anodin comme acte mais je suis heureuse qu’elle ait pu partir sereinement, entourée de ses proches. J’espère que de là où elle est, elle est apaisée.

Constater qu’elle ne s’en est pas sortie indemne m’a fait un électrochoc. J’ai ressenti de la peur, de moi aussi, ne pas y arriver. Elle a été diagnostiquée autour de ces vingts ans et s’en est allée onze années plus tard. Je sais pertinemment que pour chaque malade, c’est une autre maladie. Mais cette nouvelle vient nourrir mes craintes les plus profondes face à mon avenir de malade chronique. Je n’ai jamais eu spécialement peur de mourir, mais cette fois-ci, plus que jamais, je n’ai aucune envie de laisser ma peau si vite. Je lui dédie mes larmes pendant quelques minutes et envoie toutes les plus douces pensées à ceux qui lui sont restés.

Et je reprends mes esprits, pour elle. Comme un hommage, je décide que pour elle et pour tous ceux souffrant dans le silence, je ne dois pas m’arrêter à l’étape de la peur. La peur n’empêche pas le danger. Et je ne peux pas gaspiller ce temps précieux, où je suis encore capable de vivre mille expériences fabuleuses. Je ne peux pas faire ça, rien que par respect pour les autres.

Alors malgré la boule dans ma gorge, je me lève. Je dois me lever et je dois affronter cette vie, peut importe les obstacles.

Et je commence par le yoga, comme chaque matin. Je sèche mes larmes et intérieurement, même si c’est encore le chaos émotionnel, je fais le vide. Je dédie ma séance, chacune de mes inspirations et tous mes gestes à toi, jolie ange. Et aujourd’hui, c’est la dernière séance du voyage avec Adriene. Une aventure qui s’achève, ainsi qu’une vie parmi tant d’autres. Adriene dit que dans chaque fin se trouve un nouveau commencement. Si elle savait comme ces mots raisonnent en moi. La particularité de la séance est qu’elle va pratiquer de son côté, sans donner d’indications à l’oral. Je commence la pratique et sors tous les outils appris jusqu’ici. La musique douce de la vidéo m’accompagne. Par moment, je jette un regard sur l’écran pour me rassurer, elle est toujours là. Puis, je plonge profondément dans mon corps et dans un espace alternatif. Je suis complètement engagée dans ma pratique et je recherche les postures me faisant du bien. Je n’ai pas conscience du temps et je n’en veux pas. En me retrouvant en posture du cadavre, je médite. Et lorsque je sors de cet état introspectif, je m’aperçois que la vidéo s’est terminée. Je ressens une certaine fierté d’avoir pratiquée seule durant une heure. C’était magique, apaisant. Je n’ai pas plus de mots, c’était puissant.

Le reste de la journée, je dédie mon temps à l’écriture, à me nourrir et à prendre le temps de profiter de vivre. Je n’ai pas besoin d’en dire plus car tout ce dont j’aimerais me souvenir réside dans les lignes précédentes. Malgré ces nouvelles bouleversantes, c’est une journée qui mérite d’être vécue et encore plus que toutes les autres.

Jour 56 – C’est comme ça

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La journée commence plutôt bien. Je me lève tôt, me dirige vers mon tapis de yoga et pratique. La séance est à ma portée. Je me sens tonique, forte et apaisée. Dès le réveil, se sont des sentiments qui donnent de la confiance pour affronter toutes les épreuves dont le quotidien regorge. Je suis déterminée et j’en ai bien conscience.

Mon programme est le suivant. Je dois me rendre en ville, pour faire quelques courses. Alors, je prépare quelques tartines au beurre, simples. Avec le pain de la veille. Rien que pour ça, je suis heureuse de m’être levée. Ma tisane se termine presque par magie, tellement j’avais soif. Le corps plein d’énergie, c’est ainsi que j’affronte l’extérieur. Mes pas sont sûrs et j’avance vers mon objectifs. La ville grouille. Il y a beaucoup d’informations qui arrivent. Entre les gens qui pressent le pas, qu’il faut éviter, le boucan de la route qui m’empêche de penser. Mais je ne faiblis pas. Une fois arrivée au magasin, je trouve aisément ce dont j’ai besoin. Pendant ce temps, mon carburant s’épuise. Mais ça, je ne le vois pas.

Je paie mes articles et je peux m’estimer chanceuse car pour rentrer chez moi, un proche vient me chercher. Néanmoins, je dois marcher avec mon pactole jusqu’au point de rendez-vous.

Arrivée à la maison, je prends doucement conscience que mon réservoir est percé. Ce n’est pas toujours évident de savoir où se trouve la limite. Elle a tendance à varier de jour en jour. M’étant levée du bon pied, je n’ai pas vu les ressources diminuer, surtout aussi vite. Je tente de ne pas en vouloir à ce corps qui me porte. Je prends le temps d’écouter ce qu’il a me dire. Il m’explique qu’il est fatigué, que c’est finalement pas une si bonne journée que ça pour lui. Je le remercie d’avoir tenu jusqu’au magasin et lui propose de prendre soin de lui. Il ose me montrer ses faiblesses et ses difficultés pour que je puisse m’adapter. Ça ne va pas être simple mais je vais faire mon possible pour lui offrir le confort et le repos qu’il requiert. Nous sommes une équipe, envers et contre tout. Je ne le lâcherais pas.

Il est midi et je dois me nourrir. Je sors un truc rapide, le réchauffe et vais m’installer pour manger. La dernière bouchée avalée, je ressens que les choses se corsent. J’ai envie de dormir. Enfin non, j’ai besoin de dormir. Mon corps a besoin de ne plus bouger. Dans ma tête, c’est contradictoire. Mon corps requiert l’inertie la plus totale pendant que ma tête, elle, a envie de bouger. Je tente d’attraper mon ordinateur pour pouvoir écrire un peu, m’évader.

Ça ne dure pas cinq minutes. C’est un échec. Mon enveloppe me rappelle que je dois aller dans son sens. Oups, je suis têtue, j’avais déjà oublié ou plutôt, je tentais de grappiller quelques minutes de plus. Alors cette fois, j’accepte. J’accepte par contrainte. Mes bras se sont alourdis. Chacun d’entre eux pèsent plus que le poids de mon corps entier. Dans mes jambes, ça tape. Dans ma tête, c’est flou.

Je m’endors.

Le réveil est compliqué, cette fois-ci. J’ai failli oublier, j’ai un rendez-vous de physiothérapie. Je ne me sens pas capable de m’y rendre mais avec l’aide, encore, de mes proches, j’y parviens.

C’est une personne douce qui prend le temps d’écouter ce que je tente de lui expliquer, sur ce que je ressens physiquement. Elle ne remet pas en cause mes douleurs, elle tente de comprendre. Elle va poser ces doigts sur cette enveloppe charnelle et va tenter, de toute sa bienveillance et de son professionnalisme de m’apporter du réconfort physique. Elle me transmet, par la même occasion, son énergie positive. Elle rattache ensemble tous mes morceaux pour que peut-être, la fin de cette journée soit plus supportable. Je l’en remercie et en sortant de chez elle, rien n’est résolu mais j’ai définitivement gagné une batterie éphémère.

En arrivant à la maison, je sais que l’horloge tourne et que bientôt, je serais à nouveau complètement écrasée par le poids de mes douleurs. J’enfile des habits confortables et m’installe dans le canapé, avec à porté de moi, tout ce dont je pourrais avoir besoin ou envie. Je suis prête à passer la tempête, à l’abri.

Lorsque l’orage commence, mes proches sont là pour me soutenir. Ils m’enveloppent dans les couvertures, me font sourire comme ils peuvent. Ils tentent de rendre ce moment plus confortable et de me changer les idées. Je me sens recouverte d’amour et elle me protège. Les douleurs restent physiques et n’arrivent pas à accéder à mon moral. Peut-importe s’il n’est pas agréable de devoir recourir à leur aide, j’accepte. Je lâche prise. J’admets que j’en ai besoin et que m’entêter pour me débrouiller ne fait qu’aggraver la situation. Intérieurement, je me promets de toujours leur renvoyer l’appareil, d’une manière ou d’une autre. Rien que par la gratitude de les avoir, c’est un premier pas de le reconnaître. Je sais qu’ils n’attendent rien, mais je ne peux m’en empêcher. Avec eux, j’oublie tout ce que je ne peux pas faire. Je garde l’espoir d’avoir d’autres opportunités, plus tard.

Ce soir-là, un repas m’est servi. Ce soir-là, je suis accompagnée dans mes faits et gestes. Ce soir-là, c’est un soir comme ça.

Jour 55 – Simple délice

Hier, je me suis couchée avec les poules. Ce matin, je me réveille avec le coq. L’obscurité de la pièce m’englobe. Je commence par bouger les orteils, prudemment. Puis vient le tour de mes doigts et je finis par l’étirement total. J’ai la sensation que l’orage de la veille est enfin terminé. Quel soulagement.

Légère, je me lève. Je sais que j’ai plusieurs obligations et je n’ai pas la possibilité de faire mon yoga tout de suite. Je me promets de trouver un moment dans la matinée.

Je m’habille rapidement et tout aussi vite, je suis à l’extérieur. C’est un jour humide. La neige a cédé sa place à la pluie. Finalement, je n’aurais pas profité du manteau blanc d’il y a deux jours. En observant sa beauté, je savais pertinemment qu’il est du genre à ne pas s’installer. L’éphémérité, c’est aussi ce qui compose son charme. Il ne laisse de trace que dans mon esprit. J’attendrais son retour, patiemment. Dans la rue, je marche rapidement. Une fois ma mission achevée, j’en profite pour passer dans une boulangerie-pâtisserie. C’est le seul endroit dans le coin où je peux me fournir deux-trois choses sympas pour mon palais et qui concorde avec ma santé. Et ça m’évite de devoir passer par la case cuisine, pour une fois. C’est d’autant meilleur de savourer quelque chose de difficile à confectionner, dans ce genre de circonstance. Je repars, avec une baguette au levain, à base de sarrasin et de riz. Elle est encore tiède, je rêve de croquer dedans. Ça me procure un sentiment de normalité alimentaire que je n’ai pas souvent, c’est agréable.

Le bonheur se cache dans les choses simples.

En rentrant, malgré la monté et le feu qui se propage dans mes jambes, je déborde d’une vitalité sans limite. Je liste rapidement ce que j’ai à faire et jongle ma matinée avec brio. Je ne m’arrête pas une seconde.

Peu avant midi, c’est enfin le moment de faire du yoga. J’arrive sur le tapis, complètement mouvementée intérieurement. C’est le moment idéal pour amener le calme. Ça tombe bien car la pratique commence par un temps de respiration les yeux fermés. Première pensée: Vais-je réussir à faire le vide? Et sans que je m’en aperçoives, mon souffle s’encre et commence à émettre le son de l’océan. Je suis complètement dans le moment présent, dans mes sensations et mon esprit est limpide. Je m’autorise quelques variantes ça et là. À la fin de la séance, je suis déçue que ce moment soit déjà terminé. Toutes les bonnes choses ont donc bien une fin.

Ce midi, je me prépare un sandwich avec la baguette fraîche. Je croque avec joie. Ma mâchoire faiblit mais tant pis, je prendrais le temps qu’il faudra pour savourer chaque miette de cette assiette. C’est délicieux.

L’après-midi, j’ai rendez-vous chez une thérapeute. J’ai déjà fait la route plusieurs fois et encore aujourd’hui, je trouve de nouvelles choses que je n’avais encore jamais observé. Il pleut abondamment et le martellement de l’eau créer un rythme sur le pare-brise. J’arrive sur le lieu et la séance se déroule. Elle se termine et je me dirige vers la cage d’escaliers. Une mélodie puissante y règne. Le bâtiment est d’une autre époque mais surtout, il est appondu à un temple religieux. La musique qui s’en dégage me force à marquer un arrêt. Je sens l’énergie de la personne qui joue de l’orgue. Je perçois aussi que ce n’est pas le même genre que durant un office. L’organiste s’amuse et c’est saisissant. Je ne suis pas dans la même pièce que l’instrument pourtant les vibrations viennent jusqu’au centre de mon corps. Je suis réceptive et je savoure ce cadeau inattendu.

Arrivée à la voiture, je suis heureuse de ne pas conduire. Je passe le retour à lutter pour ne pas plonger dans le sommeil. Il m’appelle si fort. Le traitement est aussi épuisant que les pathologies mais il en vaut la peine.

En rentrant, je prends une collation pour me redonner des forces car j’ai très envie d’écrire. Mes premières lignes sont difficiles. Mes mains sont usées et mes yeux ne demandent qu’à être fermés. J’ai l’impression d’avoir du papier de verre à la place de la peau des paupières, me râpant à chaque clignements. Je tente d’aller à l’essentiel. Je sais que je dois absolument me reposer. Les mots s’amoncellent et ma fatigue gagne du terrain. Lentement, je griffonne les mots sans savoir, sans comprendre. Je dois m’arrêter ici. J’ai épuisé le stock pour aujourd’hui.

Jour 52 – La joie

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J’émerge aisément. La chance me sourit. Je me prépare une infusion, ça me tient chaud tout en me réveillant doucement. Puis, je me dirige vers mon tapis de yoga. Je remarque que je ne tiens pas plus longtemps les postures mais qu’elles deviennent tout de même plus confortables. J’ai l’esprit qui divague un peu. Le cerveau est long au démarrage. Je me perds dans le paysage. J’aime faire du yoga, non loin de la baie vitrée. Ainsi, je peux égarer mon regard. Lorsque je dois tenir des postures d’équilibre, je prends toujours la même bâtisse rose tulipe. Je ne saurais expliquer pourquoi. Est-ce les fenêtres quadrillées, aux cadrans blancs, arrondis qui me fascinent? Ou alors, les tuiles marrons de la toiture qui m’attirent? Chaque fois que je la regarde, j’observe un nouveau détail. La séance s’achève avec une grande expiration bruyante. Apaisante.

Je suis prête à entamer ma journée.

J’ai du travail administratif à faire ce matin. Je dresse une liste un peu décourageante. Elle est longue et rien ne me donne envie, forcément. Pourtant, je vais puiser dans l’énergie engrangée ces derniers jours et me motive. J’avoue que je n’ai pas vu le temps passer. J’ai coché les cases plus vite que je ne pensais. C’est une bonne chose de faite.

Je profite de ce moment pour tenter une nouvelle démarche. Je m’écris un e-mail, à la moi dans une année. Je n’ai pas nécessairement besoin de faire le point avec le passage d’une année à l’autre mais je ressens clairement, qu’au niveau de ma vie, je traverse une période floue et déterminante. Alors, je fais l’état des lieux et j’essaie de transcrire au mieux l’état d’esprit dans lequel je suis. Je m’écris des mots doux et encourageants. Je choisis de ne pas mettre de projections vers le futur car je me laisse toutes les possibilités et je ne veux pas créer de déceptions. Je ne relis pas mes mots, afin de ne pas les encrer dans ma mémoire, tant pis pour les fautes. Et je conclus par la programmation de l’envoi, dans une année.

Contente de ma matinée, je file en cuisine me préparer un truc à manger. D’ailleurs, je songe toujours à commencer une rubrique sur le blog, parlant nourriture. Mais je suis indécise et j’ai un peu la flemme, je l’admets. Ça viendra, si ça doit venir.

L’après-midi commence avec de bonnes nouvelles sur le plan personnel. Décidément, le sourire s’installe sur mon visage. Par la suite, je passe plusieurs heures à jouer aux jeux vidéos. C’est léger, ça passe le temps et je m’amuse. C’est tout gagnant.

Quelques heures plus tard, je remarque qu’il fait nuit, dehors. Je m’aperçois que je n’ai ni eu envie ou besoin d’aller prendre l’air. Ça sera pour demain. Néanmoins, j’ai envie de me dépenser. Je mets de la musique et commence à danser. Au début, c’est un peu ridicule car même si je suis à l’abris des regards, je me juge. Je ne sais pas danser, et je ne sais encore moins coordonner mes mouvements. Puis doucement, je me rassure et m’offre la permission de vivre ce moment pour moi. Je cherche les sensations et non la beauté. Je ferme les yeux et me concentre sur le rythme et les mouvements. J’ai de plus en plus envie de sentir mon rythme cardiaque s’accélérer et que mon corps puisse libérer des endorphines. D’ailleurs, souvent, lorsque je me promène, j’observe et envie les coureurs. Ça me manque tellement la course à pieds. Alors je me mets à bouger de plus en plus vite. Mon corps se meut sans cohérence, ni constance. Il crée son propre langage et je rentre en communion interne. Il m’arrive de ressentir des faiblesses dans mes membres inférieurs, il m’arrive d’avoir des décharges. Mais je dépasse encore les limites. Je vis dans la joie de cet instant.

Lorsque je m’arrête, je ne sais pas combien de temps s’est écoulé. Je ressens la joie d’avoir bouger, de m’être sentie vivre. Je perçois la surprise d’en avoir été capable et d’avoir été portée par mon corps, qui m’a plus d’une fois lâché malgré lui. Je suis émue d’avoir cette opportunité pourtant si simple et banale.

J’évacue les émotions et les contractures avec l’eau chaude de la douche.

Le soir, je me prépare un repas simple et rapide car malheureusement, mon coup de folie amène ses effets douloureux. Je tente de n’y accorder qu’une mince attention. Je m’installe dans le canapé et transcris mes exploits, je ne trouve pas d’autres termes. Mes yeux piquent et mes doigts se bloquent mais je ne veux rien oublier. J’écris. Je dois consolider ce joli moment que je veux revivre encore et encore. Je veux garder en tête que tout est possible.

Je m’endors, le sourire toujours présent sur mes lèvres.

Jour 50

Endormie dans les douleurs, le repos n’a pas eu l’effet escompté. J’émerge, tirée du sommeil abruptement par les crispations de mes muscles. Je me lève péniblement et vais m’installer dans le canapé, histoire de changer de point de vue, d’avoir l’impression de me lever. La vérité, c’est que je suis juste allongée, plus loin. Au fond de moi, j’ai envie de peindre. Ça me démange. Je dois être réaliste, c’est une activité trop ambitieuse pour aujourd’hui. Les rayons du soleil parviennent jusqu’à moi. Ils sont trompeurs. Dehors, le thermomètre est dans le négatif. Malgré tout, ils m’apaisent et me rendent confiante. Je me promets le repos, et me laisse espérer que demain, je pourrais peindre. Dans ma tête, le processus créatif commence déjà. Je ne peux certes commencer la peinture mais je songe déjà aux choix des couleurs, à la technique. Ainsi, j’occupe le temps et fait grandir l’envie. La joie éprouvée ne sera que plus grande.

Après plus de la moitié de la journée au repos, je calcule l’énergie accumulée. Je cherche à rentabiliser au mieux ce qu’il me reste. Aller dehors ne rentre même pas en compte, c’est pas grave. Je décide d’aller en cuisine. Je pourrais à la fois écouter de la musique et créer de bonnes choses. Je ressens bien l’épuisement dans mes jambes mais je décide de faire la sourde oreille, tant que je tiens debout. Je commence par me cuisiner du pain perdu aux herbes et des courgettes. Puis, je m’asseye à peine pour déguster l’assiette. Je suis sur une bonne lancée et je ne veux pas m’arrêter. J’entame une recette de muffins. Je suis un peu indécise alors j’en fais aux framboises et d’autres au chocolat. Pendant qu’ils cuisent, je m’asseye sur le carrelage froid. Je relâche mes muscles.

Finalement, je préfère ceux aux framboises.

Lorsque la cuisson est terminée, j’attaque ma deuxième idée. Je prépare une lasagne maison. J’en fais suffisamment pour pouvoir me garder une part, au congélateur. Pour les jours sans.

Au moment où je dois faire la vaisselle, ça commence à être challengeant. Je me dépêche de terminer le tout et pense à la récompense.

Le yoga. J’arrive sur mon tapis et enclenche la vidéo. J’ai gardé spécialement cette séance pour le soir car elle s’annonce plus calme. Et je vis une expérience différente. Je me suis tellement pressée de finir en cuisine, car je n’en pouvais plus, qu’à l’intérieur, ça grouille encore. J’ai du mal à discipliner ma respiration. Je ne contrôle rien. Par moment, je n’entends même plus ce qu’Adriene dit car je suis complètement perdue dans mes pensées. Alors je jongle entre les postures, mes pensées envahissantes et la respiration indomptable. C’est une séance douce et pourtant, le chaos se déchaîne. J’en viens à me dire que je n’en tirerais aucun bénéfice et que je ferais mieux d’arrêter là. Mais heureusement, instinctivement je continue. J’arrive au bout de la pratique, sans m’en apercevoir. Finalement, j’ai persévéré et réussi à me centrer. Comme quoi, l’importance n’est pas dans le fait d’avoir une pratique idéale en tout temps mais plutôt d’accepter l’imperfection et que de celle-ci, le positif peut toujours jaillir.

Le minuteur sonne, juste à temps. C’est l’heure de déguster mon plat. Je remplis mon estomac et me sens au fur et à mesure, accomplie.

En ce début de soirée, je me sens fatiguée. C’est de la bonne fatigue, j’en suis heureuse. J’admets qu’à cet instant, j’ai très peu envie d’écrire. Pourtant, c’est mon rendez-vous quotidien. Je sais que j’aime faire ça et que j’en retire des bénéfices. Mais j’ai pas envie. C’est bête, pour une fois que je n’ai pas mal aux mains. Alors, je décide de me forcer un peu. C’est comme pour le yoga, même si je sais que je ne vais rien produire d’incroyable, ce n’est pas là l’important. Le processus est plus riche que le résultat. Je peine donc à me plonger entre les mots. Et sans que je m’en aperçoive, la magie opère. La bulle se forme, opaque et confortable. Le texte s’épaissit.

Au point final, je me sens légitime pour aller me coucher, enrichie de mes nouveaux apprentissages.

Jour 45

La nuit a porté ces fruits. Je me lève et me dirige machinalement vers la bouilloire. Je prépare une tisane et me rends sur mon tapis de yoga. La séance ancre en moi, les motivations qui me poussent à pratiquer. Je rencontre encore des difficultés. Mes membres vibrent puissamment. Plus d’une fois, je marque un temps de pause et reprend la pose. Je m’acharne. Constater tout ce que j’ai perdu, en termes de capacité, aujourd’hui, ça a le don de me pousser davantage. Plutôt que de m’attrister, ça me met en rage. J’ai clairement envie d’en découdre et de secouer mon avenir. Je veux gagner en possibilités.

Je sors de cette pratique éveillée et prête à attaquer la journée.

Mon planning de yoga. Je me réjouis de pouvoir inscrire au fur et a mesure un petit coeur.

Je passe énormément de temps sur du travail administratif. Les minutes défilent et l’heure se complète. Il est déjà l’heure de manger. Heureusement, il y a des restes de la veille. Je mange et repense à ma récente prise de conscience à ce propos. Là aussi, je profite d’encrer ce souhait d’être plus régulière.

L’après-midi, le travail s’enchaîne, entrecoupé d’un rendez-vous médical.

Il est dix-huit heure sur ma montre. Mes jambes semblent usées, pourtant, j’ai très envie de bouger. J’ai envie de me dépenser. Foutu pour foutu, j’enclenche la musique et me mets à danser. J’ai besoin de sentir mon corps de l’intérieur. Par moment, je ne peux m’empêcher de faire des mouvements qui ravivent mes douleurs. Je suis capable de les faire, la douleur n’a aucune valeur. Je ne veux pas lui laisser cette place précieuse. Je ne veux pas l’entendre, alors l’espace d’une dizaine de musique, elle est muette. Je tente de me persuader et d’imprimer dans mon cerveau, des chemins où la douleur ne laisse pas d’empreinte négative. Ce moment léger m’apporte une bouffée de bonheur. Je savoure.

Après le repas, j’ai envie d’écrire. Je n’en ai pas encore eu l’opportunité. Au moment où mes doigts se posent sur le clavier, les décharges du côté droit débarquent. Pendant une seconde, je suis agacée. Forcément, maintenant que je me suis assise, que mes jambes peuvent se reposer, ce sont les mains qui prennent le relais. Quelle blague! Mon corps a envie de jouer avec mes nerfs. Il n’a pas compris un truc. Aujourd’hui, je suis aussi d’humeur joueuse et s’il veut voir qui est le plus fort, il va vite déchanter. Je vais chercher un pack de glace, et le pose au point culminant. J’articule mes doigts sur les touches et durant les premières minutes, c’est une vraie bataille. Ça me fait mal mais bon sang, j’ai profondément envie d’écrire. Et je n’ai pas dit mon dernier mot (humour, parce qu’il en faut). Alors je prends les signaux de détresse et au fur et à mesure que les mots s’amassent, je les rends plus discrets.

Plusieurs émotions me viennent lorsque je vais me coucher. Je récapitule ma journée et apprécie de n’avoir rien lâcher. Je suis fière. Cependant, je sais pertinemment que certains jours, je serais contrainte d’en faire moins. Je sais que ces jours-là, il faudra accepter que je ne peux pas gagner toutes les batailles. Mais ce que je réalise d’autant plus c’est à quel point je dois savourer d’avoir remporté cette armistice.

Jour 27

Je me lève avec paresse, encore fatiguée de la veille. Les muscles m’en parlent encore.

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J’ai mon dernier rendez-vous professionnel. Nous faisons le bilan de mes recherches, de mes projets. Mon avenir est loin d’être tracé mais, j’ai des outils pour y parvenir. Le futur a le goût de l’incertitude malgré tout, je me sens apaisée. J’ai foi en mes capacités à me former, à apprendre. J’ai soif de découvrir de nouvelles facettes du monde. Je suis courageuse. Je vais devoir l’être encore plus.

Suite à ça, je passe une bonne partie de ma journée debout, à arpenter les rues. Portée par mes idées, j’en oublie mes sensations. Mes douleurs deviennent silencieuses. La météo est tempérée pour le mois de décembre, si bien que j’en ouvre ma veste. Mes pas se font de plus en plus lourds et maladroits. Je me déplace avec autant d’imprécisions que d’envies. Je commence à comprendre que je vais devoir faire un choix. C’est devenu habituel pour moi, de compter mes cuillères (théorie des cuillères). Je suis entrain de puiser dans les maigres ressources d’énergie que j’ai à disposition. Je songe au yoga et à quel point, après toute cette marche, je ne pourrais pas pratiquer comme je l’entends. Je tente de rester positive mais aussi réaliste. C’est un équilibre périlleux.

En rentrant, je sais que le repos m’appelle. J’ai peur de trop me reposer et de ne plus être capable de bouger par la suite. Je peine à tout lâcher. J’écris quelques lignes puis je m’arrête. Je ferme les yeux. Je les ouvre aussitôt.

Finalement, je décide de me lever et d’emballer mes paquets. Je consacre du temps à chacun d’entre eux afin de les emballer de papier et d’amour. Je suis assise au sol, sur un petit bloc. Mes jambes ont du mal à trouver leurs places. Je bouge énormément. Par moment, je prends le temps de m’étirer, comme je le ferais sur mon tapis. Après avoir accompli ma tâche, je remonte sur le canapé. Accomplie, je m’accorde enfin la détente.

Je m’endors.

Jour 26

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J’émerge avec confusion.

Je me sens vide.

Malgré la nuit, le sommeil n’a pas chargé mes batteries.

Et pour ne rien arranger, lorsque je croise mon tapis de yoga, je ressens légèrement l’appréhension. Depuis le début de la semaine, je ressens une latence dans la récupération. Mon esprit va à nouveau plus vite que mon corps n’a le temps de se régénérer. Je repousse ma séance de yoga a plus tard. Je dois admettre que j’ai peur d’échouer. J’ai peur d’être contrainte à abandonner à nouveau ce qu’il me plaît. Si je n’entreprends pas, je ne peux pas abandonner. Mais si je n’entreprends pas, j’ai abandonné. C’est un cercle vicieux dans lequel je ne veux plus rentrer.

Dans un monde idéal, j’aurais tout de suite été sur mon tapis. Dans la vraie vie, je suis allée m’occuper de toutes mes obligations. C’est plus simple, je n’ai pas trop besoin de réfléchir.

La journée passe doucement sans être réellement désagréable. C’est le néant. Je suis aussi lente que le temps. Cela ne me dérange pas du tout.

Je prends le temps d’écrire à divers moment de la journée. Je me sens plutôt inspirée mais à l’image d’hier, mes doigts bloquent. Je tente de ne pas y prêter attention. Je fais des pauses.

Le soleil se couche et je me rends sur mon matelas de yoga. Je ne sais pas trop quoi en penser. J’observe. Je reste sans jugement. J’enclenche la vidéo et me lance. Le thème d’aujourd’hui est l’amour de soi. La séance commence en douceur avec des étirements que je parviens à effectuer. Je gagne en confiance. Lorsqu’arrivent les postures plus difficiles, mes muscles vacillent. Je les recentre par mes profondes inspirations et mes lentes expirations. Je ne renonce à aucun mouvement. Au milieu de la session, Adriene m’invite à penser à quelque chose que j’aime chez moi et à me focaliser dessus. Je choisis d’apprécier ma détermination. Cet état d’esprit m’aide à affronter les positions suivantes, qui me donnent du fil à retordre. Je tombe à deux reprises. Heureusement, le sol est prêt à me rattraper.

En fin de pratique, tous mes muscles se sentent usés. Mon esprit, lui, se sent apaisé. J’avais besoin de me connecter à mon corps et mes sensations autrement que par la douleur. Nous avions besoin de faire équipe afin de garder cette confiance que nous cultivons ensemble.

Je vais me coucher. La nuit s’annonce douce.

Jour 25

Déterminée à ne pas me laisser dicter ma conduite par mon corps raidit par la nuit, je me lève dès mon premier réveil. Il fait sombre dans l’appartement. Instinctivement, je me retrouve sur mon tapis. J’exécute les mouvements avec la souplesse d’un robot. Aujourd’hui, mes mains sont loin de toucher le sol mais ce n’est pas important. Je ne cherche pas la performance mais les sensations. J’ai l’esprit complètement neutre. Mes pensées vont uniquement sur mon souffle. Je tremble énormément. Parfois, je tombe. Mais je me relève, je persévère.

A la fin de ma séance de yoga, je prépare un petit déjeuner que j’avale à une vitesse folle, tellement mon ventre est vide.

Je m’installe à mon bureau et poursuis mes démarches administratives. Par la suite, je continue l’élaboration de mon projet professionnel. Une idée alléchante me passe par la tête et je vais à la pêche aux informations. Je déchante rapidement. Mon enthousiasme retombe très vite, je n’ai même pas le temps de réaliser que j’en pleure. Mes émotions sont sur le grand huit, en pleine descente. Je n’avais pas prévu d’aller au parc d’attraction mais j’accepte et accueil ce moment. Je note que je reste très sensible à ce sujet et décide que j’ai assez travaillé pour aujourd’hui. Il ne sert à rien de me faire violence.

L’après-midi, j’ai énormément de projets. Je suis heureuse d’être si active. Vers l’heure du goûter, mon corps me fait rapidement comprendre qu’il en a assez. J’ai les genoux qui menacent de flancher. Je les supplie de tenir encore un peu. Ils acceptent mais mon dos se met à pester. Et mon ventre gargouille. Puis mes yeux se liguent et brûlent ensemble. Tous mes muscles commencent à m’envoyer des alertes. Je dois admettre que ces derniers temps, mon corps m’a permis plus de choses que pour les douze derniers mois réunis. Et je le remercie, encore et encore. Merci, merci, merci. Je t’en prie, fais moi confiance, nous voulons la même chose. Notre bien. Suis moi, encore un peu. Je suis en pleine négociation interne.

Lorsque le soleil tombe, je suis en voiture. Je suis passagère pour les deux prochaines heures. Tous mes sens en prennent de la graine. Le moteur rugit, la pluie frappe la carrosserie tandis que la musique joue le fil conducteur de cette joyeuse berceuse. Mes oreilles accueillent ce brouhaha. Sur mes lunettes se reflètent les lumières des phares. Parfois jaunâtre, parfois rouge. Tout bouge tellement vite que mes yeux ont du mal à suivre. Je suis souvent obligée de baisser le regard pour le calmer. Par la fenêtre, je distingue dans le brouillard les montagnes. Elles forment une ombre imposante. A l’opposé, le lac disparaît dans la brume et la grisaille. Dans l’habitacle, la température est artificiellement chaude. Je m’y sens bien.

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Le soir venu, je m’asseye. Je sais que je ne vais plus devoir me relever. La nuit est tombée depuis plusieurs heures et je peux enfin écrire. Toutes ces péripéties ont formé dans ma tête des nuages d’idées. Je commence à les esquisser. C’est au tour de mes doigts de protester. Mes phalanges se verrouillent, une à une. Je souhaite réellement aller jusqu’au bout des mes pensées. J’insiste. Je repousse encore et encore mes limites. J’ai beau respecter mon corps, je ne veux plus rester figée. J’ai trop peur de ne plus me mouvoir. J’arrêterais de bouger que lorsque je n’aurais plus le choix.

Je ne sais pas si c’est la bonne stratégie mais je décide de vivre au lieu de craindre la vie. Et ça me rend heureuse.