Jour 61 – Savourer

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Le réveil sonne et pour ne pas changer une équipe qui gagne, mon corps endormi et moi-même, nous nous rendons sur le tapis de yoga. Dehors, le soleil se lève, timidement. Je me sens à l’aise dans mes mouvements, ils sont fluides et je parviens à faire le vide de plus en plus rapidement. Arrive une posture me demandant, si j’en ai l’envie et la possibilité, de me mettre sur la pointe des pieds. Et sans m’en apercevoir, je me lance. Certes, je ne peux pas tenir la posture, j’y accède tout juste mais j’ai essayé. Ce n’est qu’à la fin de la pratique que je m’en rends compte. Pour remettre un peu de contexte, il y a un an, me mettre sur la pointe des pieds, pour attraper quelque chose, par exemple, c’était inenvisageable. J’étais trop faible, et cela impliquait une souffrance sans limite. Il y a deux mois, me mettre sur la pointe des pieds, j’y pensais quinze fois et puis je me disais que c’était mieux pas, je n’en étais pas capable. Et voilà que désormais, il n’y plus de limites. Alors, la douleur est toujours là mais j’ose enfin la défier. Et j’avoue, j’ai eu mal mais rien d’insurmontable. C’est une petite victoire pour entamer une belle journée.

La matinée passe à une allure folle. J’enchaîne entre les rendez-vous et les petites choses à faire. Je me déplace avec facilité et détermination. Et dans mes pensées, je ressens une profonde gratitude d’arriver à jongler avec autant de choses dans un laps de temps si restreint. J’avais accepté cette nouvelle vie, faites de choix et de contraintes en me contentant du plus important. Cependant, c’est un bonheur sans fin de pouvoir vivre un peu plus, comme avant. Je suis très lucide malgré tout, je sais que rien est acquis et que demain est un autre jour. Alors je savoure aujourd’hui.

Aujourd’hui, je savoure le repas que j’ai eu du plaisir à réfléchir, me procurer les ingrédients puis concocter.

Aujourd’hui, je savoure le rayon de soleil qui me salue, simplement.

Aujourd’hui, je savoure lorsque mes doigts défilent sur le clavier, laissant une trace de cette folle aventure qu’est la vie.

Aujourd’hui, je savoure chaque mouvement, peut importe la douleur.

Aujourd’hui, je savoure d’arriver à remplir mes obligations sans me laisser déborder par le stress de l’inconnu.

Aujourd’hui, je savoure les moments de repos que je m’octroie, sans les voir comme une punition.

Aujourd’hui, je savoure les instants passés avec mes proches, entre confessions et paroles légères.

Aujourd’hui, je savoure cette fatigue dont je connais la cause et que j’accueille avec joie.

Aujourd’hui, c’était une belle journée pour savourer le goût de la vie.

Jour 17

Ce matin, j’ouvre les yeux avec un léger pressentiment. Un goût d’inconnu s’installe. C’est le premier jour de la semaine et je n’ai plus d’obligations professionnelles. Je suis déphasée. Je tente de me persuader que c’est la machine qui est lente à mettre en route et prends mon petit-déjeuner, sans trop y réflechir.

Par la suite, je m’installe à mon bureau. Je dois préparer mon avenir. Cette réflexion a déjà commencé et je dois continuer à concrétiser mon futur. Pourtant, ça ne fonctionne pas. Mes pensées se bousculent et jouent au flipper dans ma boite crânienne. C’est autant des affirmations que des questionnements, dans le désordre le plus total.

J’ai du mal à me canaliser. Doucement, je remets en question l’entièreté du projet que j’avais en tête jusqu’ici. Je déconstruis chacune des idées. Au final, je me retrouve avec un tas de cendres et le désespoir me fait signe.

Je reste plusieurs heures devant mon écran sans rien réussir à établir. A chaque minute qui passe, je perds un peu plus mes moyens. Je finis par être complètement abattue, sur cette chaise. Immobile mais l’horloge, elle, tourne encore. Je ressens le temps ajoutant au passage son angoisse. Je dois me décider. Je ne peux pas passer une année dans cette position.

Passage à vide. Pendant un amas d’heures indéfinissables. C’est lent. C’est long. Je ne peux rien y faire. Il n’existe pas de bouton magique qui me permette de passer à l’étape suivante.

Je ne me souviens pas à quel moment j’ai réussi à me sortir de ce tourbillon. Néanmoins, je me retrouve à l’air frais.

Une pulsion de vie, comme une bouée de sauvetage.

Je comprends que je ne dois pas m’acharner à concrétiser quoi que se soit aujourd’hui. Mon unique tâche est l’acception de cette humeur désastreuse et maussade. Sur ce chemin de la validation de mes ressentis, parfois, une boule se loge dans ma gorge. Parfois, elle force et les perles de sel parcourent mes joues. Dans le silence.

Heureusement, au fur-et-à-mesure de mes pas, le brouillard s’atténue. L’horizon est beau. Le paysage est le même qu’à mon habitude pourtant, il y a encore de quoi s’émerveiller. Il vide mon esprit. Les arbres se tiennent fièrement debout. Les couleurs m’insufflent de l’espoir tandis que les mouettes me partagent leur insouciance. Je recharge mes batteries.

Accepter d’être triste et désemparée, je peux le faire. Cependant, mon engagement me revient en mémoire. Je ne souhaite plus admirer les drames et me laisser envahir. Je dois passer à l’action, malgré tout. Je suis capable d’être debout en pleine tempête, tel que les arbres savent le faire contre les caprices de la nature.

Je rentre avec mon humeur mitigée et mon envie de ne pas lâcher. En l’espace d’une heure, j’accomplis tout un tas de choses afin de vite me retrouver sur mon tapis. La pratique du yoga me rassure. Dans l’espace de ce rectangle, le temps est suspendu. Mes aigreurs sont effacées. Je savoure. Je me sens épuisée mais recentrée.

Je m’alourdis dans le sommeil en pensant. Je songe. Ces prochaines semaines m’amèneront à faire des choix difficiles et je ne peux les éviter. Au delà de ça, j’ai l’emprise sur la manière dont je veux vivre mes prises de positions. Mal vivre mes décisions ne changera en rien les événements. Il ne me reste plus qu’à bi…

Jour 14

C’est la dernière journée, officiellement. Je pars au travail, le coeur déjà chargé. L’appréhension est lovée près de mon estomac. Je ne sais pas si je suis prête à réellement conclure ce chapitre de ma vie.

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Cette journée est spéciale. Je ressens la tristesse dans le regard de mes collègues. Nous savons que je n’ai pas choisi cette situation. Mes émotions sont en surface. Ils m’ont préparés plusieurs surprises et elles me touchent. Tellement que des larmes coulent. A chaque gouttes, je réalise un peu plus que je quitte un endroit renfermant plusieurs magnifiques personnes. Elles ont été mon entourage professionnel et plus que ça. Elles m’ont accompagné durant cette année difficile. Tomber malade n’a pas été simple et je ne pourrais jamais les remercier de m’avoir soutenue dans ce combat. Malheureusement, ma santé m’impose de changer de chemin. Une route éloignée d’eux. Pourtant, je garde dans ma tête, chacune des minutes passées avec eux. C’était mon travail et bien plus encore. Je dois nourrir ces amitiés que nous avons cultivées car elles sont précieuses. J’ai le sentiment d’avoir trouver LES personnes bienveillantes dont j’avais besoin dans mon existence. Et j’ai conscience que ça n’arrive pas tous les jours.

Je ne pensais pas avoir autant de valeur, à leurs yeux. Je ne le réalise qu’au moment où ils me décrivent. Ils utilisent tellement d’adjectifs positifs et bienveillants. Ils sont reconnaissants envers moi. Je n’en n’avais pas la moindre idée. C’est un mélange d’émotions sans nom. Je ressens de la joie d’avoir tous ses retours, de sentir que je faisais réellement du mieux que je le pouvais. Or, une autre entité émotionnelle se cache, plus forte. C’est entre la tristesse, l’impuissance et la colère. Je suis en rage d’être contrainte de quitter tout ça. Il m’est difficile d’être objective. Durant cette journée, je comprends que c’est clairement le point final. Et pour une fois, ça m’agace d’être dans ma vie. J’en veux à je-ne-sais-qui, je-ne-sais-quoi d’être malade. Je me demande: « pourquoi moi ». C’est la fatigue et le flot d’émotions qui me font perdre ma lucidité. Pour une fois, faut que je l’admette: ça fait chier que ça m’arrive. Ça fait chier que ça arrive à qui que ce soit sur terre.

En rentrant, je déballe mes affaires et vois les présents qui m’ont été offerts. Je pleurs à nouveau et je prends conscience de la chance de les avoir rencontré. Je suis privilégiée qu’ils existe dans ma vie et rien n’est fini. Certes, je ne m’y rendrais plus quotidiennement. Certes, c’est une page qui se tourne. Toutefois, je n’ai plus besoin de les nommer en tant que collègues. L’étiquette professionnelle part à la poubelle. Je peux compter sur des amis. Je sais que la porte de cet endroit m’est grande ouverte. Si j’ai besoin d’un refuge, de me ressourcer, ou simplement de les voir, je peux y retourner.

Ce n’est qu’une page de l’histoire parmi tant d’autres à venir. Il me reste un tas de pages vierges à remplir de la présence de ces merveilleuses personnes.

Dehors, la neige a reprit. La vie continue. Mes pensées s’entremêlent et doucement, le sommeil s’invite.